Louise de Lorraine: une reine de France au Père-Lachaise

Père-Lachaise Louise Lorraine

Louise de Lorraine par Jean Rabel, ca 1575. BNF, Estampes, Rés. Na 22

Une rapide recherche sur Internet indique à tout curieux que Louise de Lorraine, veuve d’Henri III, a un temps reposé au Père-Lachaise avant son transfert en grande pompe à Saint-Denis le 16 janvier 1817, sur ordre de Louis XVIII. Seulement voilà, on ignore la date et le lieu précis de l’inhumation du cercueil au Père-Lachaise. C’est bien entendu à ces deux interrogations que je vais tâcher de répondre.

Les voyages post-mortem de Louise de Lorraine

Décédée en son château de Moulins (03) le 29 janvier 1601, c’est sans doute dans la cathédrale de cette ville que Louise de Lorraine fut d’abord inhumée.

Cinq ans plus tard, ses restes furent transportés dans le couvent des Capucines, nouvellement fondé à Paris au nord de la rue Saint-Honoré grâce à une somme de 60.000 livres léguée par la défunte. En 1685, Louvois acheta le couvent afin de permettre la création de la place Louis-le-Grand (Vendôme aujourd’hui). Louis XIV offrit alors aux Capucines de construire à ses frais un nouveau couvent, à deux pas du précédent: les religieuses s’y installèrent en juillet 1688 et le cercueil de Louise de Lorraine fut ré-inhumé dans l’une des cryptes de l’église inaugurée en 1689.

Père-Lachaise Capucines Louise de Lorraine

Le couvent des Capucines, au second plan, derrière les bâtiments de la place Louis-le-Grand (Vendôme). V. Antier, gouache, 1705. Musée Carnavalet D9764

Le couvent fut abandonné par les sœurs cent ans plus tard après la suppression des ordres réguliers par l’Assemblée Constituante en 1789. Il connut ensuite diverses affectations: hôtel des Monnaies, on y imprima des assignats, Robertson (Père-Lachaise D8) y présenta ses spectacles de fantasmagorie et Franconi (Père-Lachaise D35) y ouvrit même un cirque. Louise, bien oubliée de tous, continua à reposer sous l’une des huit chapelles de l’église du couvent.

La redécouverte

Un décret de 1806 autorisa le percement de la rue de la Paix, alors appelée rue Napoléon, qui relie la place Vendôme au boulevard des Capucines. La destruction du couvent, et en particulier de l’église, avait déjà commencé puisque dès le 29 mars 1804 on transféra aux catacombes les ossements que l’on y avait trouvés. C’est l’année suivante que fut découvert  le cercueil de Louise.

Le 29 Vendémiaire an XIV (21 octobre 1805), le maire du 1er arrondissement de Paris, Charles Huguet-Montaran, reçut une lettre du sieur Morel, adjudicataire des matériaux du couvent en cours de démolition. Ce dernier l’informait qu’un cercueil de plomb venait d’être découvert dans l’une des cryptes de l’église, transformée en fosse d’aisance par l’un des précédents propriétaires du lieu. Il fut immédiatement établi que le cercueil était celui de Louise de Lorraine. Une plaque de marbre reposait encore sur le cercueil et ne laissait aucun doute sur l’identité de la défunte.

Ci-gît Louise de Lorraine, reine de France et de Pologne, qui décéda à Moulins en 1601 et laissa 20.000 écus pour la construction de ce couvent, que Marie de Luxembourg, duchesse de Mercœur, sa belle sœur, fit bâtir en 1605.

Cette tombe a été transportée de l’ancien monastère à celui-ci que le roi Louis le Grand a fait bâtir en 1688.

Gravure tirée de l’ouvrage de Max Billlard, Les Tombeaux des rois sous la Terreur (1907)

L’inhumation au Père-Lachaise

Le 3 Brumaine an XIV (25 octobre 1805), le maire écrivit au préfet, Nicolas Frochot (Père-Lachaise D37), pour l’informer de la découverte et lui demander ses instructions.1.

Les registres des délibérations de l’ancien 1er arrondissement nous apprennent la décision de Frochot, en date du 6 Brumaire:

Article 1

Le cercueil ci-dessus désigné sera transporté dans le plus bref délai au cimetière de l’Est et déposé dans une fosse particulière.2

Article 2

Le sieur Georges, ordonnateur particulier de cette mairie, est chargé de ce transport et de s’entendre tant avec l’entrepreneur général des inhumations de la ville de Paris qu’avec le concierge du cimetière de l’Est, auxquels M. le Préfet a également fait parvenir ampliation de son arrêté.3

Et c’est ainsi que Louise de Lorraine fut inhumée au Père-Lachaise le 12 Brumaire an XIV (3 novembre 1805). Le Maire écrivit au Préfet le 15 Brumaire afin de l’informer du bon déroulement de l’inhumation. Cette lettre nous apprend deux choses:

Je crois devoir vous observer qu’il s’est glissé une erreur dans ma lettre du 3 de ce mois, relative à la découverte de ce corps, dans laquelle je vous ai annoncé que le cercueil qui le renfermait était en plomb: il résulte que, d’après de nouveaux renseignements que j’ai pris, ce cercueil est en chêne ; quoique cela ne tirât pas à grande conséquence, j’ai cependant pensé qu’il était essentiel de rectifier cette erreur.

J’ai à vous consulter, Monsieur, sur quelque chose qui me paraît d’une plus grande importance. L’adjudicataire de la démolition prétend que le morceau de marbre sur lequel se trouve inscrite l’épitaphe lui appartient. Je crois voir le contraire tant dans l’article 5 du cahier des charges, concernant cette démolition que dans l’article 3 de votre arrêté du 6 brumaire, relatif au transfèrement de ce corps. Veuillez, Monsieur, m’éclairer sur ce point ; en attendant votre décision, j’ai donné l’ordre au Sieur Morel, adjudicataire, de ne disposer en aucune manière du marbre dont [il] est question.4

Morel eut-il gain de cause? Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, ce marbre est bel et bien perdu.

Emplacement de la tombe au Père-Lachaise

Première surprise, et de taille, l’inhumation de Louise de Lorraine, n’apparaît pas dans les Registres Journaliers des inhumations du cimetière en 1805. J’émets à ce propos une hypothèse que j’aurai sans doute l’occasion de développer ultérieurement: le premier RJ, allant du 15 Prairial 1804 au 19 juillet 1818, n’est qu’une copie lacunaire de l’original. Sans doute pour gagner du temps, la personne en charge d’effectuer la copie n’a pas pris soin de recopier les données relatives aux  inhumations des corps ayant déjà quitté l’enceinte du cimetière au moment où la copie fut effectuée (date encore inconnue mais postérieure à 1818). Louise, qui quitte le cimetière pour Saint-Denis en 1817, a donc disparu des registres. Alors, comment retrouver sa trace?

Une reine de France ne pouvait pas échapper aux conducteurs des cimetières qui publièrent les premiers guides.

Ainsi le tome 2 du Champs du Repos de MM. Roger père et fils (1816) indique que la Reine reposa “sous un tertre mêlé de broussailles à l’ombre des cyprès.” Elle avait pour voisin immédiat le littérateur Baculard d’Arnaud , inhumé le 12 brumaire dans une concession temporaire avant d’être transféré dans la D10 où il repose aujourd’hui. La gravure ci-dessous est tirée du même ouvrage.

Père-Lachaise Louise de Lorraine

Louise de Lorraine reposa sous le numéro 1716 dans une concession temporaire le long du mur des Hauziaux. Elle occupa la 38ème concession le long de ce mur, en remontant la pente.

Père-Lachaise Louise de Lorraine

Emplacement approximatif de la tombe de Louise de Lorraine de 1805 à 1817, dans l’actuelle 58ème division.

L’exhumation et la translation à Saint-Denis

Sur ordre royal, le 16 janvier 1817, “à trois heures de l’après-midi, en présence de M. de Lalane, conseiller d’Etat, de M. Jalabert, premier vicaire de la métropole, d’un aumônier du roi, de Monsieur le curé de Charonne, etc., on commença à procéder, dans le cimetière du Père-Lachaise, à l’exhumation du corps de Louise de Lorraine, reine de France et de Pologne, épouse de Henri III. Les travaux et les dispositions nécessaires à l’ouverture de la fosse, à la fouille et à l’exhumation, joints aux cérémonies et prières usitées en pareilles circonstances, durèrent jusqu’à 7 heures du soir. Le cercueil fut trouvé entier ; les ossements qu’ils renfermaient furent déposés dans un autre cercueil préparé à cet effet.”5

Le cortège s’ébranla alors nuitamment vers la Basilique de Saint-Denis. “Deux forts détachements, l’un de gardes du corps, l’autre de dragons, formaient l’escorte,”6, portant leur arme sous le bras gauche, les étendards voilés de serge noire. Avec tous les honneurs dus à son rang, au son du glas et des psaumes, le cercueil de la Reine fut déposé dans la crypte des Bourbon, aux côtés de ceux de Louis XVI et Marie-Antoinette (inhumés dans la Basilique le 21 janvier 1815). Elle y fut rejointe la même année par Mmes Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV mortes en exil (20 janvier 1817) et par Louis VII (30 juin 1817), en provenance de l’abbaye royale Saint-Paul de Barbeau où son tombeau avait échappé aux profanations révolutionnaires. Louis XVIII marquait pas là sa volonté de recréer une nécropole royale à Saint-Denis. Lui-même fut inhumé dans la crypte le 25 octobre 1824.

La gravure suivante présente la crypte en mars 1894. Le caveau contient alors 12 cercueils dont certains, endommagés par le temps et l’humidité, sont alors placés dans de nouvelles bières. J’ignore si ce fut le cas pour Louise de Lorraine.

Père-Lachaise Louise de Lorraine

Plan de la crypte des Bourbon en 1894. Le cercueil de Louise de Lorraine se trouve entre ceux de Louis VII et du duc de Berry. G. Lenotre, La Captivité et la mort de Marie-Antoinette, 1897

Père-Lachaise Louise de Lorraine

On devine plus qu’on ne voit le cercueil de Louise de Lorraine sur cette gravure de 1894. Max Billlard, Les Tombeaux des rois sous la Terreur (1907)

Dans les années 50, l’architecte Jules Formigé dressa les plans de réaménagement du caveau dans le but de lui restituer son état carolingien. Son projet ne fut exécuté qu’après sa mort, considérablement ralenti par la découverte de sarcophages mérovingiens à l’occasion des travaux. En 1975, les cercueils des rois et reines furent descendus dans une nouvelle crypte creusée juste au dessous. Désormais, d’austères dalles de marbre noir marquent simplement leur lieu de sépulture. “L’archéologie monumentale a donc eu raison de l’histoire et de la commémoration.”7

Père-Lachaise Louise de Lorraine

Père-Lachaise Louise de Lorraine

Par Krischnig sur Wikipedia allemand


Sources

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  1. Ancien 1er arrondissement. – Correspondance: 4ème registre n°30 – ADP VD6
  2. Cette décision s’appliquera par défaut à tout nouveau cercueil découvert lors de travaux effectués dans Paris.
  3. Registre des délibérations de l’ancien 1er arrondissement de Paris, tome IV,  folio 118 r° et v° – ADP VD6
  4. 4ème registre de correspondance de l’ancien 1er arrondissement, n°36 – ADP VD6
  5. La Quotidienne, 17 janvier 1817
  6. idem
  7. Jean Michel Leniaud in Chroniques patrimoniales. Norma, Paris, 2001
2 Comments
  • Alexandre
    avril 15, 2017

    Bravo bon boulot !

  • Marie Beleyme
    avril 15, 2017

    A noter que le cercueil de Louise ne fut pas le seul retrouvé dans les décombres du couvent des Capucines. L’année suivante, en juillet 1806, furent sortis des gravats:
    – un cercueil de 2,14m
    – deux d’1,78m
    – un d’1,84m portant une inscription en cuivre: “Ci-gît Madame Madeleine Françoise Moillard, veuve de très haut et puissant seigneur monseigneur René Louis de Voyer de Paulmy d’Argenson, marquis, secrétaire d’État et ministre des affaires étrangères.”
    – deux boîtes dites cœur, aussi en plomb, présentant l’une trente-deux centimètres cubes et l’autre treize centimètres, aussi cubes.
    (Source: 4ème registre des délibérations de l’ancien 1er arrondissement de Paris f° 123 r° et v° 124 r°)
    Le 6 juillet, les 4 cercueils et 2 boîtes furent enterrés au Père-Lachaise, sur la même ligne de Louise le long du mur des Hauziaux dans la fosse n°56.

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