Joseph Ignace Guillotin (1738-1814) – D8 (tombe disparue)

Guillotin Cimetière Père-Lachaise

Ce que l’on sait et ce que l’on croit savoir

Joseph Ignace Guillotin est mort au 2ème étage du 217 de la rue Saint-Honoré1à Paris le 26 mars 1814 d’un anthrax à l’épaule gauche à l’âge de 75 ans. La maison est toujours visible.
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Il a été inhumé au Père-Lachaise le 28 mars – deux jours après son décès, ce qui correspond au délai moyen d’inhumation à l’époque – alors que les forces européennes alliées contre l’Empire de Napoléon étaient aux portes de la capitale (la Bataille de Paris a lieu le 30 mars 1814).
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Sa tombe a disparu et n’est mentionnée dans aucun guide ancien, y compris dans le très exhaustif Champ du repos, ou le Cimetière Mont-Louis, dit du Père Delachaise, ouvrage orné de planches, représentant plus de 2000 mausolées érigés dans ce cimetière, depuis sa création jusqu’au 1er janvier 1816, de Roger père et fils (1816). F. M. Marchant de Beaumont n’en parle pas non plus dans son Conducteur au cimetière de l’Est ou du Père-Lachaise (1820) qui répertorie pourtant plus de 700 noms, connus ou non, alors que de toute évidence l’auteur connaît parfaitement les lieux. Il y a donc fort à parier que la tombe ait toujours été anonyme, simple monticule de terre sans signe distinctif.
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On lit ici et là que la tombe de Guillotin se trouvait dans la 7ème division et qu’elle fut relevée pour céder la place au monument d’Héloïse et Abélard (inauguré en novembre 1817).

L’affaire semble entendue… enfin presque

Il est toujours intéressant de s’en référer aux sources primaires.
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Dans les Registres d’Inhumations journaliers conservés à la Conservation du Cimetière du Père-Lachaise, on trouve les informations suivantes :
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Joseph Ignace Guillotin, inhumé le 28 mars 1814, dans une fosse temporaire de 2m2, “16ème ligne au chemin neuf, le long du cimetière des Juifs, à gauche de la barrière.”
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La fosse porte le n°12 : c’est donc la 12ème inhumation sur la ligne mentionnée plus haut. Le registre ne comporte aucune mention marginale : cette tombe n’a pas été transformée ultérieurement en concession à perpétuité.
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Première constatation : il est logique que la tombe ait disparu puisque la concession n’était que temporaire. Si l’on en croit le règlement des cimetières en date du 1er juin 1817, les concessions temporaires étaient concédées pour 5 ans et pour la somme de 50fr. La tombe de Guillotin a-t-elle été relevée en 1819 ? Les RI ne portant la mention « relevée » que pour les concessions à perpétuité (sic !), il est impossible d’être catégorique sur ce point.
Alors forcément, la question se pose :

Est-il encore possible de localiser précisément l’emplacement de la tombe ?

C’est là que les choses se compliquent… Les indications de localisation que l’on trouve dans les RI étaient destinées à l’administration des cimetières et en particulier aux fossoyeurs. En l’absence de plan encore bien établi en 1817, les localisations se faisaient par rapport à un monument remarquable, à un arbre (Baculard d’Arnaud fut inhumé « au pied du noyer »), un chemin, un mur… L’idée est simple : pouvoir localiser la tombe 5, 10, 20 ans plus tard, si la famille décide d’investir dans la perpétuité ou s’il faut procéder à une exhumation.
Bref, les indications, qui semblent à première vue précises, étaient sans doute claires pour les fossoyeurs du début du XIXème siècle qui connaissaient les lieux mais le sont un peu moins pour nous, d’autant que la physionomie du Père-Lachaise a bien changé en 200 ans
Reprenons le cas Guillotin :
16ème ligne au chemin neuf, le long du cimetière des Juifs, à gauche de la barrière.
 Si la dénomination de « chemin neuf » est incertaine, si la « barrière » mentionnée est bien mystérieuse, il n’en est pas de même pour le « mur des Juifs », que tous les amoureux du Père-Lachaise sont capables de localiser. Il a été abattu certes, mais ses fondations (qui datent sans doute du temps où le Mont-Louis appartenait aux Jésuites) sont parfaitement visibles de nos jours. Ce mur se trouvait autrefois en plein milieu de la 7ème division et clôturait le cimetière juif (en contrebas, à droite sur la photo ci-dessous).
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Guillotin Cimetière Père-Lachaise
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Voilà d’où vient l’idée que Guillotin avait été inhumé dans la 7ème division, a priori le long du mur.
Seulement voilà, ce n’est pas le cas.
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Quand la Conservation m’a permis d’avoir accès au document relatif à l’inhumation de Guillotin, j’en ai profité pour jeter un œil aux « voisins » du docteur, c’est-à-dire aux personnes ayant été inhumées sur la même ligne que lui, et à proximité immédiate. Trois noms ont retenu mon attention :
  • Le général de brigade Jean-François Oudot, mort le 30 mars pendant la Bataille de Paris et inhumé le 2 avril (16ème ligne, fosse n°20)
  • Nicolas François Thiébaux (orthographié Thiébault sur le plan ci-dessous), inhumé le même jour (16ème ligne, fosse n°23)
  • Le naturaliste et botaniste Pierre Sonnerat, inhumé le même jour (16ème ligne, fosse n°24)
Or ces trois personnages sont tous les trois localisés sur les cartes anciennes (cf. Plan topographique dit de Giraldon-Bovinet, 1824):
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Guillotin Cimetière Père-Lachaise
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Il paraît donc évident que la ligne n°16 se trouvait dans ce qui est aujourd’hui la 8ème division du Père-Lachaise, que le « chemin neuf » n’est autre que l’actuelle avenue Casimir Périer et que « le long du cimetière des Juifs » doit être compris comme « sur une ligne sensiblement parallèle au mur du cimetière des Juifs ». Quant à la barrière, il est fort probable que ce soit une référence à l’entrée du cimetière qui se faisait alors par la rue Saint-André (actuelle rue du Repos).
Coup de chance : les tombes Oudot et Thiébaux ont été converties à perpétuité, respectivement en 1834 et 1836. Elles sont donc encore bien visibles sur le Plan général du Père-Lachaise indiquant l’emplacement de toutes les concessions perpétuelles de F.-T. Salomon (1855), qui s’il n’est pas à l’échelle, donne parfois un précieux coup de pouce.
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Guillotin Cimetière Père-Lachaise
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Oudot porte le numéro 3 et Thiébaux le numéro 5. Guillottin et Sonnerat ont déjà été exhumés et leurs concessions réattribuées. En toute logique, Guillotin aurait dû se trouver approximativement au niveau des numéros 81 et 82 (8 fosses à gauche d’Oudot). Le chemin dont on devine l’amorce ne semble pas avoir existé en 1814 (cf plan de Brongniart en date de 1815) et était donc occupé par des tombes.

Circulez, y’a rien à voir…

Malheureusement, sur place, il ne reste plus de traces des tombes Oudot et Thiébaux(-ault) (emplacements réattribués). Cependant, la tombe Biesta est toujours visible (n° 2 sur le plan du Salomon) et peut donc nous servir de repère.
La tombe de Guillotin devait se trouver approximativement au niveau de l’espace devant la chapelle Harlé d’Ophove et à droite d’une tombe asiatique. Aujourd’hui vide, il fut occupé pendant longtemps par deux chapelles établies dans les années 1830 et détruites aujourd’hui.
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Guillotin Cimetière Père-Lachaise
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IMG_9013
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Guillotin_localisation

Emplacement approximatif de la tombe de Guillotin en 1814, dans l’actuelle 8ème division. La carte, elle, date de 1883

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  1. Merci à Philippe Grumeau pour cette information
8 Comments
  • Simon TIRON
    avril 2, 2016

    Quel article passionnant ! Et quel travail de recherche impressionnant ! Votre blog promet d’être une véritable mine d’informations, idéal pour les curieux ! Je suis pressé de lire d’autres articles.

  • Catherine
    avril 21, 2016

    Merci pour cet article : une enquête pointue, un travail remarquable, une transmission fort intéressante.

  • Pierre Besson
    janvier 29, 2017

    Bravo pour cet excellent article si bien documenté. Pour le plaisir d’en rajouter : dans son roman « Remise de peine », Patrick Modiano décrit la maison dans laquelle, enfant, il aurait passé quelques mois en compagnie de « drôles de gens ». Il indique que dans le jardin de cette maison, « rue du docteur Dordaine », dans un village d’Ile-de-France dont le nom n’est pas cité, était enterré le docteur Guillotin. Dans « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier », le romancier, devenu grand, relate avec le regard d’un adulte la même histoire sous le nom de « Jean Daragane ». Il situe cette rue à Saint-Leu-la-Forêt. En fait Modiano a expliqué à Pierre Assouline, pour un article de la revue « Lire », que cette maison se trouvait en réalité à Jouy-en-Josas, rue du docteur Kurzenne où elle est effectivement connue sous le nom de « Maison Guillotin » bien qu’il semble que le macabre docteur ne l’ait jamais occupée et surtout n’y ait jamais été enterré !

    • Marie Beleyme
      janvier 29, 2017

      Merci pour votre commentaire. Vous avez piqué ma curiosité, du coup je suis allée voir à quoi ressemble cette maison: http://emmanuelmailly.free.fr/lamaisonlabrousse.htm

      • Pierre Besson
        janvier 30, 2017

        Je dois confesser que c’est sur ce site que j’avais trouvé cette info, après avoir relu récemment “Remise de peine” ! Cordialement.

  • Péquignot Guy
    septembre 16, 2020

    Marie Beleyme, bonjour. Passionné du Père Lachaise, J‘écris actuellement un ouvrage sur les francs maçons enterrés au Père Lachaise. Votre étude sur la tombe de Guillotin est passionnante et convaincante. Pourrais-je, en citant naturellement les sources, mentionner votre étude dans mon ouvrage ? Bien Cordialement. Guy Péquignot

    • Marie Beleyme
      septembre 17, 2020

      Bonjour Guy, vous pouvez bien entendu citer mon article. C’est un plaisir que de partager mes découvertes.

  • Luc Jouret
    décembre 11, 2022

    La tombe Guillotin doit toujours être présente. à l’époque, quand on dressait un monument, on laissait les restes de défunts au dessous. C’était aussi le cas quand un arbre poussait, on laissait le ou les défunts au dessous. ça ne dérangeait personne, et ça faisait gagner du temps.

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