Mais pourquoi donc s’intéresser en particulier à la division 22 qui n’est ni la plus riche en célébrités, ni la plus intéressante en terme de monuments, ni la plus pittoresque? Tout simplement parce que, afin de compléter mon article consacré à la citerne, j’ai souhaité essayer de localiser l’ancien réservoir – ou bassin – qui se trouvait justement dans la D22 et dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui si ce n’est le nom de l’un des chemins qui bordent l’actuelle division: le chemin du bassin.
J’ai donc entrepris de comprendre comment la division avait été lotie afin de retrouver, en creux, la trace du fameux réservoir et d’en dater le comblement. Les outils utilisés sont complexes et j’avoue avoir passé beaucoup de temps à en comprendre le fonctionnement. Grâce à la bienveillance de la Conservation, j’ai pu avoir accès à une reproduction de qualité du cadastre de la 22ème division daté de 1888 (ce cadastre est consultable à la Bibliothèque Historique de la ville de Paris mais mes photos personnelles laissaient à désirer), à la Matrice Cadastrale et aux Registres Journaliers d’Inhumation (RJ). Il est impératif de croiser ces sources afin de vérifier des indications données. J’ai eu quelques surprises.
Un exemple parmi d’autre: la concession de la famille Perrée (où repose l’homme politique Louis Perrée, +1851) fut établie en 1822 si j’en crois la Matrice Cadastrale. Cette tombe me posait un réel problème puisqu’elle se situait en plein milieu de l’emplacement pressenti du réservoir, réservoir qui existait encore en 1824. Grâce aux RJ j’ai pu comprendre que la concession avait bien été acquise le 1er février 1822 par Louis Perrée, homonyme du précédent, mais avait été fondée dans ce que l’on appelait alors la pièce de l’Orangerie (vaste secteur qui comprenait les actuelles divisions 8 à 13). Ce n’est que plus tard, après comblement du bassin, qu’elle rejoignit la 22ème division. La concession Perrée n’est qu’un exemple parmi d’autres, montrant la nécessité de croiser les sources afin d’obtenir des informations fiables.
Malgré tout le soin apporté, cet exercice a ses limites puisque le principal outil de travail est un cadastre levé en 1885 et imprimé en 1888. Certaines tombes anciennes ne figurent déjà plus sur le dit cadastre, ayant déjà été reprises, déménagées ou réaffectées. Cependant, si le cadastre ne reflète pas à cent pour cent la réalité des premières années d’exploitation de la division, il fournit suffisamment d’indications pour retrouver la trace du bassin.
Ci-dessous, je vous propose donc un voyage dans le temps, de 1804 à 1824, au cœur de la 22ème division.
Les impatients consulteront directement la fin de l’article pour localiser le bassin. Les autres suivront mon cheminement…
Pour chaque année d’activité de la division, vous trouverez une reproduction du cadastre ainsi que les photos des monuments toujours visibles aujourd’hui, classés par ordre chronologique de fondation de la concession. Vous constaterez qu’il y a quelques beaux restes mais que certains d’entre eux ont été remplacés par des dalles modernes alors que d’autres sont réduits à l’état de ruines.
Cette étude m’a permis de conclure que la division 22 était une division essentiellement bourgeoise, à l’image du cimetière tout entier, d’ailleurs. Comme vous le constaterez en consultant les informations glanées sur ses résidents, elle abrite un grand nombre d’artisans (maîtres boulanger, orfèvre, maçon, etc.), quelques industriels (textile, forges, etc.), deux consuls, plusieurs colons de Saint-Domingue ayant quitté leur île après l’indépendance du pays, une poignée d’aristocrates, deux ou trois esprits éclairés membres de société savantes, etc.
Bonne lecture.
Les premières années, 1804 à 1812
On pourrait apposer une plaque “En ces lieux, il ne se passa strictement rien.” Alors que les secteurs voisins – on ne parle pas encore de divisions – se lotissent peu à peu, la zone qui nous intéresse est restée vierge de toute inhumation pendant les neufs premières années d’existence du cimetière.
Le secteur est délimité par quatre chemins qui correspondent à peu près aux chemins actuels.
Au nord, on trouve un verger. Les RJ nous apprennent que des pommiers y poussent en quantité. Au sud, en contrebas, le bassin, de belle taille, et quelques arbres et arbustes occupent l’essentiel du terrain. La division est de facto coupée en deux et le partage, a peu près équitable, se fait au niveau d’une déclivité parfaitement perceptible encore aujourd’hui. Au moment de l’achat du domaine en 1803, un mur s’élevait encore à cet endroit mais il fut abattu rapidement.
Cette photo montre bien que la partie nord de la division – sur la droite – est sensiblement plus haute que la partie sud.
Les tombes de la partie nord, à droite, tournent le dos à la partie sud. Elles étaient à l’origine adossées à une haie d’arbustes et buissons qui de facto coupait la division en deux.
1813 à 1819: une division qui n’attire pas
Mme Jary, 29 ans, est inhumée dans la partie sud de la division, appelée dans les RJ “secteur de l’ancien bassin” le 7 décembre 1813. La sépulture de 6 m2, plus petite que celle d’aujourd’hui, est érigée dans un bosquet, à l’angle du bassin et tournée vers lui. Marchant de Beaumont écrit en octobre 1820: “Ce monument, placé dans un lieu enfoncé, sous le mystérieux ombrages de branchages surbaissés, présente un abri sous lequel tout invite à la mélancolie.” 1
1813
Aucune autre tombe ne sera construite dans la partie sud du secteur avant 1821. Peut-être la contemplation du réservoir ruiné n’inspire-t-elle pas “à certaines âmes des sentiments religieux sans terreur, et à toutes le respect, le recueillement sans tristesse, et enfin une sorte de charme mélancolique, […]”? 2
Cependant, le 1er septembre 1814, John Richardson, négociant londonien, inaugure la partie nord du secteur. Il est inhumé “dans la pièce des pommiers, sous un prunier.”
1814
Deux tombes sont érigées au cours de l’année 1817. La première est celle de Mme Legueule, en juillet 1817. Quelques jours plus tard, “entre deux pommiers”, est érigée la tombe d’Étienne de Bourgevin Vialard, comte de Saint-Morys, mort en duel. La partie nord de la division sera désormais appelée “secteur Saint-Morys.”
1817
1818
1819
1820 à 1822: les années fastes
En l’espace de trois ans, l’essentiel du secteur nord de la division va se lotir
1820
1821
1822
1823 à 1824: le rythme des inhumations ralenti
La partie nord est déjà bien remplie. En toute logique, les inhumations se font plus rares, faute de place.
1823
1824
Localisation du réservoir
La littérature consacrée au Père-Lachaise en 1824 ainsi que les plans en notre possession permettent de conclure que le bassin, à sec depuis bien longtemps, existe encore à cette époque là. Sa présence dans le secteur sud de la division est signalée par l’absence de sépultures: sur le cadastre de 1824, publié un peu plus haut, on note un grand espace vide. Les tombes Jary, Loiseau, Nicod le bordent à l’est et la sépulture Ibled est installée sur son bord sud.
La taille exacte du bassin nous est inconnue mais, si l’on en croit le plan du domaine joint à l’acte de vente du Mont-Louis en 1803, il aurait pu mesurer approximativement 20 mètres sur 30.
La projection suivante est donc rendue possible:
La source, figurée par une étoile, se trouvait vraisemblablement derrière la tombe Loiseau. En 1803, elle était pratiquement tarie mais alimentait encore une sorte de petite marre pleine de roseaux. Je n’ai trouvé que de rares mentions de cette source dans les différents conducteurs et guides publiés au début du XIXème siècle. Marchant de Beaumont nous apprend cependant qu’elle s’appelait la Fidèle et qu’elle “rafraichissait” encore le pied des “arbres séculaires” du bosquet Clary en 1821. 3
On voit sur le plan qu’il restait en 1824 la trace d’un chemin qui longeait le bassin au nord, bordé de verdure.
Le bassin fut comblé au cours de l’hiver 1825-1826 et son lotissement commença dès le mois de janvier 1826. En toute logique, les murs de maçonnerie de même que le fond du bassin, lui aussi maçonné, furent démolis pour laisser places aux nouvelles sépultures. Il n’en reste aucun témoignage.
Glad to see the new post — and what an article! Reading this after you gave me the tour around the old reservoir and the first graves brought everything into perspective. Brava!
Superbe travail qui devrait trouver place dans les références incontournables du PL autant auprès des amateurs éclairés que de l’administration patrimoniale du cimetière. Utilité évidente, rigueur, précision et concision…Encore bravo.
Je suis admiratif devant cette quête de vérité, cette abnégation, cette humilité. De humus, la terre, celle vers laquelle nous sommes tous appelés à retourner. Cette recherche est digne des principes de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée. Et, heureusement, tout se transforme.
e_
octobre 17, 2016
Glad to see the new post — and what an article! Reading this after you gave me the tour around the old reservoir and the first graves brought everything into perspective. Brava!
octobre 17, 2016
Superbe travail
octobre 19, 2016
Superbe travail qui devrait trouver place dans les références incontournables du PL autant auprès des amateurs éclairés que de l’administration patrimoniale du cimetière. Utilité évidente, rigueur, précision et concision…Encore bravo.
octobre 31, 2016
Quel Travail ! félicitation !
mars 6, 2018
Je suis admiratif devant cette quête de vérité, cette abnégation, cette humilité. De humus, la terre, celle vers laquelle nous sommes tous appelés à retourner. Cette recherche est digne des principes de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée. Et, heureusement, tout se transforme.
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