Mais où fut donc inhumée Adélaïde Paillard de Villeneuve?

Une énigme qui perdure

Si ce nom ne vous est pas familier, cela n’a rien de surprenant: Adélaïde Paillard de Villeneuve n’a aucun titre de gloire si ce n’est celui d’être la première personne à figurer dans les Registres des inhumations. Elle a donc le privilège d’être la première défunte identifiée à reposer au Père-Lachaise, non pas en fosse commune, mais dans une sépulture individuelle. J’ai pour ma part découvert son nom en mai 2004, à l’occasion du bicentenaire du cimetière. Cela va donc faire 13 ans que je m’interroge sur la localisation de sa tombe (sans en perdre le sommeil, je vous rassure).

Voici les informations dont nous disposons, en première page du Registre: morte à 5 ans, Adélaïde fut inhumée le 15 Prairial An 12 (4 juin 1804). Il est indiqué qu’elle repose dans une concession temporaire de 2m², dans la fosse n°4, “1ère ligne à commencer du mur des Hauziaux jusqu’au petit fossé.”

L’intérêt de localiser l’emplacement de cette tombe, depuis longtemps reprise et dont il ne reste aucune trace, est double:

  • d’une part comprendre comment le Père-Lachaise fut loti à ses début: où creusa-t-on la première tombe individuelle du cimetière? Quelles raisons pratiques guidèrent le choix de cet emplacement?
  • d’autre part localiser le mur des Hauziaux, dont il ne reste rien, et qui fut de toute évidence un point de repère pour les fossoyeurs à une époque où le terrain n’était qu’une immense friche encore vierge de tout monument funéraire.

Revenons-en à notre quête.

Une légende tenace veut qu’Adélaïde ait été inhumée en haut du domaine, dans ce qui est aujourd’hui la 42ème division, non loin de son frère, l’avocat Adolphe-Victor Paillard de Villeneuve (1804-1874, D45). Depuis 2004, un modeste cénotaphe de fleurs artificielles signale aux curieux l’emplacement supposé de la tombe d’Adélaïde.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

“Cénotaphe” d’Adélaïde dans la D42.

Pourquoi avoir localisé la sépulture à cet endroit précis? Je n’en ai pas la moindre idée. A-t-on associé le mur des Hauziaux au mur est du cimetière qui effectivement se dressait en 1804 à deux pas de la supposée sépulture d’Adélaïde? Toujours est-il qu’en 2004, on m’avait présenté cet espace vide entre deux tombes comme le lieu de sépulture d’Adélaïde. Il se disait même que le petit cercueil était toujours là, un fossoyeur au cœur tendre ayant refusé de pratiquer l’exhumation.

Quoi qu’il en soit, cette localisation dans la 42ème division actuelle n’est pas des plus logiques: imaginez un terrain de plus de 17 hectares, qui grimpe sec, et dont l’accès se fait uniquement pas l’Ouest, en bas d’une pente. Pourquoi les fossoyeurs seraient-il allés pratiquer la première inhumation en fosse individuelle à l’endroit le plus éloigné de l’entrée, tout en haut du domaine et ce d’autant que les fosses communes, elles, sont ouvertes près du boulevard? Les fossoyeurs ont sans doute le cœur tendre mais ils ont aussi l’esprit pratique…

Afin d’élucider ce mystère une bonne fois pour toute, je vous propose de nous pencher ensemble sur les indices que nous possédons.

Indice n° 1: le cadastre napoléonien à la rescousse

Sur le cadastre de Charonne (Section des Montibeux, feuille 3), on voit qu’il y avait un lieu-dit du nom des Osieaux au nord du cimetière.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Le mur des Hauziaux (ou Osieaux) n’était donc pas le mur est du cimetière, mais le mur nord.

 

Indice n° 2: Reine Févez

La pierre tombale de la deuxième personne à avoir été inhumée en fosse individuelle temporaire est toujours visible aujourd’hui. Il s’agit de la sépulture de Reine Févez, épouse Robert, enterrée presque 15 jours après Adélaïde, le 29 Prairial An 12 (18 juin 1804) dans la fosse 5, juste à côté de celle de la petite fille. Sa sépulture temporaire de 2m² fut transformée en perpétuité le 15 janvier 1824.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Tombe de Reine Févez, 60ème division

La pierre tombale de Reine, visible dans la 60ème division au croisement du chemin Bion et de l’avenue Circulaire, n’est plus à son emplacement d’origine mais a été déplacée de quelques mètres dans les années 1990-2000 pour laisser la place à une sépulture récente.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Tombe de Reine Févez, D60 (au premier plan à droite, avec un pot de fleur)

 

Indice n°3: le plan de Giraldon-Bovinet

Deux personnages, inhumés eux aussi en “1ère ligne à commencer du mur des Hauziaux jusqu’au petit fossé”, sont localisés sur le plan topographique dit de Giraldon-Bovinet, 1824.

  • Charles François Martin de Vaucresson: 8 Thermidor An 12, fosse n°10,
  • Hilaire Rouillé du Coudray: 12 Nivôse An 13, fosse n°24

 

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Si aucune de ces deux sépultures n’est encore visible aujourd’hui, on peut cependant en déduire que les premières fosses individuelles temporaires ont été creusées perpendiculaires au mur nord du cimetière, dit des Hauziaux, en allant d’ouest en est, c’est à dire en remontant du boulevard vers la maison.

Le plan de Brogniart (1813) indique d’ailleurs par de petits traits la présence de ces sépultures individuelles, coincées entre le mur et les fosses communes.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

 

Indice n°4: le cadastre et la matrice cadastrale

En janvier 2017, j’ai enfin pu consulter le cadastre de la 60ème division. C’est un outil précieux, en libre accès à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, mais qui n’a qu’un intérêt limité sans la matrice cadastrale qui, elle, est sous clé à la Conservation. La matrice cadastrale donne, entre autres, le nom de l’acquéreur de chaque concession ainsi que sa date d’achat. Une mine d’informations…

Sur le cadastre, et après consultation de la matrice cadastrale, il m’a été possible de localiser deux tombes ô combien précieuses:

  • la première est celle de Pierre Vigier, concession temporaire établie le 26 octobre 1812, convertie à perpétuité le même jour. Cette tombe existait toujours en 1885, date à laquelle le cadastre fut levé. Elle a été reprise depuis.

  • la seconde est celle de Reine Févez, toujours elle, mais à son emplacement d’origine cette fois. Surprise: la pierre tombale n’a pas changé de ligne, mais a simplement été placée 3 tombes plus haut! La sépulture a bien été reprise mais la pierre a été conservée pour son intérêt historique.

Une fois ces deux tombes placées, rien de plus facile que de situer le mur des Hauziaux: parallèle au chemin Bion, il traversait ce qui est aujourd’hui la 60ème division d’ouest en est, du boulevard vers la chapelle, séparé du dit chemin par une unique rangée de tombes.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Emplacement du mur, entre deux rangées de tombes. A gauche au premier plan, celle de Reine Févez.

Quant à Adélaïde Paillard de Villeneuve, elle n’a donc jamais reposé dans la 42ème division mais sa tombe temporaire se trouvait tout en haut de ce qui est aujourd’hui la D60, à proximité immédiate des fosses communes, espace où se concentrait donc l’essentiel du travail des fossoyeurs en 1804.

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Emplacement primitif des deux premières concessions temporaires établies au Père-Lachaise en 1804

Père-Lachaise Paillard de Villeneuve

Emplacement du mur des Hauziaux – qui se prolongeait au nord-ouest à travers les divisions 58 et 57 – et des sépultures Févez, Paillard de Villeneuve et Vigier.

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12 Comments
  • Steve Soper
    février 8, 2017

    Incredible research — as always. Merci beaucoup!

    • Marie Beleyme
      février 8, 2017

      Finding Adélaïde took me such a long time, Steve. I can finally lay her to rest, so to speak.

  • Philippe
    février 9, 2017

    Yep yep yep

  • Corentin de Shilph
    février 9, 2017

    Passionnant article

    • Marie Beleyme
      février 9, 2017

      Hello DN, j’ai découvert tes vidéos sur Youtube récemment, elles aussi passionnantes. Bravo pour le boulot accompli! Ça fait très longtemps qu’on ne s’est vus: fais signe quand tu passes sur Paris.

  • Thomas K
    février 9, 2017

    Quel beau travail Marie ! Moi aussi je me suis souvent posé cette question… Et bien maintenant je pourrais y répondre 🙂 Comme quoi ce lieu magique nous cache encore tellement de choses…

  • HolyvieR
    février 9, 2017

    Félicitations Marie Beleyme pour tes passionnantes recherches ! Une toute petite correction cependant. Le frère d’Adelaïde, Adolphe-Victor Paillard de Villeneuve avocat et ami de Victor Hugo, repose en 45ème division, dans une chapelle toute proche de celle du fameux médecin acoucheur Jean-Louis Baudelocque (1745-1810) et non en 42ème comme tu l’indiques ainsi que le site de l’APPL. Par ailleurs, sa date de naissance est erronée. Décédé en 1874, il n’est par contre pas né en 1802 (comme l’indique à tord une fois de plus l’APPL mais en 1804, l’année même de la mort de sa grande soeur et de l’ouverture du Père Lachaise.

  • Pierre Besson
    février 25, 2017

    Bravo et merci pour cette étude passionnante. Accessoirement cela m’a permis de mieux visualiser les limites du cimetière de 1804. Jusqu’alors, je me basais sur le plan dit « de 1926 » accessible sur Wikipedia. Sur cette version « quelqu’un » (mais qui et quand ?) a reporté ces limites au trait noir et, manifestement, s’est planté en positionnant la limite nord en plein milieu de la 59è division… En fait si j’avais vérifié plus tôt avec les proportions du plan de Brongnart de 1813 (à supposer qu’elles soient justes, mais bon…) j’aurais vu depuis longtemps que cette limite se trouvait au-delà du chemin Bion. Et je ne me serais pas tant gratté la tête en me demandant comment Reine Fevez avait pu subir un tel déménagement… Bien à vous.

    • Marie Beleyme
      février 26, 2017

      Merci pour votre commentaire, Pierre. En cherchant Adélaïde, je cherchais moi aussi l’emplacement du mur des Hauziaux.
      Je vois exactement de quel plan de 1926 vous parlez et la personne qui a indiqué le tracé du mur s’est effectivement trompée. Seul le cadastre est réellement efficace pour localiser des tombes antérieures aux extensions successives et placer les limites primitives du cimetière. Idéalement, il faudrait procéder ainsi pour tous les murs du cimetière, ce que je n’exclus pas de faire…
      Quant à vos interrogations sur la précision du tracé du plan de Brongniart, je peux vous assurer qu’elles sont tout à fait légitimes. J’ai importé un certain nombre de plans au format numérique, je les ai rendus légèrement transparents grâce à un logiciel de retouche d’image, puis je les ai superposés: je vous assure qu’aucun plan antérieur à 1824 ne se superpose parfaitement à un autre ce qui me laisse penser qu’aucun n’a été réalisé avec la précision nécessaire: ils avaient pour vocation de renseigner les visiteurs sur l’emplacement des tombes remarquables, et non d’aider les curieux de futur à retracer l’histoire du cimetière. 🙂

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